« Penser ma mort c’est aussi bien penser moi sans le monde que le monde sans moi, c’est penser à la rupture d’un rapport. Où l’angoisse commence c’est quand, au sentiment du monde comme réalité empirique, nous substituons une présence du monde en nous, qui serait le temps... Je n’étais pas plus satisfait du monde mais du moins je me sentais en sécurité dans un monde qui ne me satisfaisait pas. Ce sont ces deux conditions qui ont pu faire place en moi à l’angoisse de la mort : celle de disparaître non au monde (empiriquement) mais celle de disparaître au sens absolu... ». Par toutes sortes de détours ce texte ramène à un centre, la distinction entre la peur de mourir qui concerne le texte de la vie, et l’angoisse devant la mort, qui elle ne concerne « rien ». L’auteur, à qui le genre même du Journal permet de se contredire et dans ces contradictions mêmes de retrouver toujours les mêmes évidences, s’appuie sur trois refuges, la réflexion bouddhique (et indienne), celle d’Epicure, la pensée christique (le « il faut qu’il vive »). Des analyses particulières s’entremêlent, celle du suicide (« le suicide s’explique parce que l’angoisse de la mort ne peut contrebalancer le dégoût de la vie, sans quoi il n’y aurait pas de suicide »), la peine de mort, le couple... Aux trois points d’appui qui reviennent explicitement — érotisme, travail, art — le quatrième que l’auteur ne nomme pas, l’ami mort, est peut-être le plus présent. Le livre s’achève par un bref rappel de réflexions sur la mort, depuis la philosophie antique et celle de la Renaissance (Montaigne), puis Descartes, Pascal, Schopenhauer, des modernes enfin, de Bergson, Simmel, Heidegger à Jean-Paul Sartre et Paul Ricoeur ; enfin quatre littérateurs, Alain, Paul Valéry, Paul Léautaud et André Malraux.