La Normandie était autrefois le pays de la préférence masculine, d’une autre façon sans doute que la Provence, où l’on tenait l’absence d’héritier mâle pour une grande infortune, mais avec la même netteté et la même persévérance. Au prix de menus ajustements, les piliers de la domination masculine restèrent bien en place pendant tout l’Ancien Régime. Les droits du sang valaient cependant à tous les garçons d’avoir une part égale dans le patrimoine familial, sans distinction de rang de naissance. L’égalité trouvait donc à s‘incarner. Cela finit par jouer en faveur des filles, lorsque vint l’heure du rejet des traditions et qu’une puissante aspiration égalitaire traversa tout le royaume, en 1791. Même à ce moment toutefois, les normands se rallièrent à l’égalité successorale, par légalisme plutôt que dans un élan véritablement « féministe ». Le principe de l’établissement des enfants hors de la maison des parents, s’accompagnait d’intenses mouvements migratoires. De ces processus, la localité ici scrutée, Argences, dans la plaine de Caen, témoigne plus que d’autres localités, en raison de son « attractivité », pour partie économique, pour partie fiscale. La population fit en effet plus que doubler en moins d’un siècle. Le résultat ne fut toutefois pas à la hauteur des espérances. Les difficultés d’accès aux ressources, la concurrence et l’égalitarisme accentuèrent les contrastes. L’écart se creusa entre les plus riches et les plus pauvres. Argences agit alors comme un miroir grossissant, qui dévoile les ressorts autrement peu visibles d’un siècle considéré de manière souvent trop uniforme. Le XVIIIe siècle a été pour certains un siècle de progrès, mais aussi pour le plus grand nombre, un siècle de déceptions et d’amertume.